
À la faveur d’une éruption solaire anticipée grâce à des simulations spatiales, et d’un alignement orbital favorable, le rover Perseverance a capturé une image inédite sur Mars : celle d’une aurore verte dans le ciel nocturne martien. Une première mondiale, qui transforme un phénomène terrestre en objet d’étude interplanétaire.
C’est une image que personne n’avait encore vue. Une lumière verte, douce, irréelle, ondulant sur l’horizon de la planète rouge. Cette apparition fugace, enregistrée le 18 mars 2024 par les instruments SuperCam et Mastcam-Z du rover Perseverance, marque la toute première détection d’une aurore visible à l’œil nu depuis la surface d’une autre planète que la Terre. Un jalon scientifique et technique, permis par une anticipation fine des conditions spatiales, et confirmé par une analyse spectroscopique précise.
Une atmosphère ténue mais des aurores quand même
Mars n’a pas de champ magnétique global, mais son atmosphère, bien que ténue, reste le théâtre de processus auroraux. Jusqu’ici, ces phénomènes n’avaient été observés qu’à l’ultraviolet depuis des orbites martiennes. Le 18 mars 2024, tout change : pour la première fois, une émission verte à 557,7 nanomètres — la signature de l’oxygène atomique — est détectée directement depuis le sol, et identifiée comme une aurore. Cette ligne verte, déjà bien connue sur Terre, n’avait jamais été enregistrée dans ces conditions sur Mars.
Un choc solaire à la manœuvre
Tout commence trois jours plus tôt, le 15 mars 2024, lorsqu’un sursaut solaire de classe C4.9 émet une éjection de masse coronale (CME) depuis la région active AR13599. Vitesse mesurée : 1 121 km/h. Mars, sur la trajectoire du phénomène, devient la cible idéale pour une campagne d’observation. Les données du réseau d’alerte MAVEN et les simulations du modèle WSA-ENLIL permettent de prévoir l’arrivée du choc interplanétaire vers le 18 mars à 00h51 UTC. Perseverance est alors prêt, ses caméras orientées, ses instruments calibrés.

Deux regards une même lumière
Le premier à capter le phénomène est SuperCam. À 06h46 UTC, son spectromètre enregistre une émission à 557,843 ± 0,024 nm, pour une intensité mesurée à 101 ± 14 Rayleighs. C’est précisément la raie verte [O(¹S→¹D)] de l’oxygène, dans les limites de l’incertitude du calibrage optique. Quelques minutes plus tard, Mastcam-Z prend le relais avec des images de 120 secondes exposées vers l’ouest. En corrigeant les effets lumineux de Phobos et des poussières atmosphériques, une composante verte excédentaire est mise en évidence dans les pixels de l’image, équivalente à 82 ± 14 Rayleighs. Deux instruments, deux méthodologies, une seule conclusion : une aurore verte a bien illuminé le ciel de Jezero.
Une lumière rare mais potentiellement observable
Cette lueur ne doit rien au hasard. Elle est induite par des particules solaires énergétiques — des protons au-delà de 20 MeV — accélérés par le choc de l’ICME en propagation. En touchant l’atmosphère martienne, ces particules provoquent l’excitation de l’oxygène, lequel relâche ensuite son énergie sous forme de lumière visible. Un modèle de transfert radiatif a permis d’estimer que, dans des conditions atmosphériques plus claires (avec une opacité de poussière τ = 0,3 au lieu de 1,1 ce jour-là), l’intensité aurait pu atteindre 200 Rayleighs, proche du seuil de visibilité à l’œil nu (environ 250 Rayleighs selon les estimations).

Un pas décisif vers la prévision aurorale martienne
La prouesse ne réside pas seulement dans la détection elle-même, mais dans la capacité à l’anticiper. Grâce aux données du système DONKI de la NASA et à une planification réactive des équipes de Perseverance, cette campagne ciblée devient la démonstration qu’un suivi auroral martien est non seulement possible, mais potentiellement reproductible. D’autant que les capteurs SuperCam et Mastcam-Z, pourtant non spécifiquement conçus pour cette mission, ont prouvé leur efficacité en environnement contraint.
Des implications pour les futures missions humaines
Voir une aurore sur Mars n’était jusqu’ici qu’un rêve de science-fiction. Cette première détection ouvre une perspective fascinante pour les astronautes du futur. Dans des conditions de forte activité solaire et de ciel dégagé, une telle émission pourrait devenir visible à l’œil nu depuis la surface. Au-delà de la beauté du phénomène, ces lumières martiennes pourraient devenir un indicateur de l’intensité des tempêtes spatiales, et donc un outil de surveillance pour la sécurité des équipages.
En résumé :
- Le 18 mars 2024, le rover Perseverance a observé une aurore verte dans le ciel martien, une première depuis la surface d’une autre planète que la Terre.
- Mars n’a pas de champ magnétique global, mais reste sujette à des aurores, jusqu’ici uniquement détectées dans l’ultraviolet depuis l’orbite.
- Cette émission visible à 557,7 nm correspond à la raie verte de l’oxygène atomique, bien connue sur Terre mais inédite sur Mars.
- L’aurore a été provoquée par une éruption solaire survenue le 15 mars, dont le choc a atteint Mars trois jours plus tard avec une vitesse de 1 121 km/s.
- SuperCam a détecté l’émission verte avec une intensité de 101 ± 14 Rayleighs, tandis que Mastcam-Z a confirmé un excès lumineux vert équivalent à 82 ± 14 Rayleighs.
- Les deux instruments ont été activés sur la base d’une alerte MAVEN et d’une simulation du modèle WSA-ENLIL, démontrant la faisabilité d’une prévision aurorale.
- La lumière enregistrée est trop faible pour être perçue à l’œil nu, mais des conditions plus claires ou des éruptions plus fortes pourraient changer la donne.
- Cette observation ouvre la voie à une nouvelle discipline sur Mars : l’étude des aurores visibles, potentiellement utiles pour les futures missions humaines.