
À mesure que notre ciel se remplit d’objets naturels – comètes ou astéroïdes – et transformés – débris, satellites, missiles – une question s’impose dans le silence de l’espace : sommes-nous capables de surveiller tout ce qui nous survole à plus de 20 000 km/h ? Profitant d’une convergence technologique et stratégique, la France veut s’imposer avec une solution souveraine de veille spatiale civil-militaire.
Dans l’ombre des satellites : l’espace devient un champ de bataille
À l’œil nu, rien ne bouge. Pourtant, au-dessus de nos têtes, ce sont des dizaines de milliers d’objets qui croisent à des vitesses folles dans un vide pas si désert qu’il y paraît. Débris flottants, satellites espions, constellations commerciales, micro-collisions… et parfois même, un astéroïde perdu sur une mauvaise trajectoire. Si certains de ces visiteurs sont attendus, surveillés, prédits, d’autres restent totalement anonymes, incontrôlés, voire intentionnellement dissimulés. La Terre, depuis ses années de conquête spatiale, n’a pas seulement conquis l’orbite : elle l’a encombrée.
La menace est multiple. D’un côté, les débris issus d’explosions accidentelles ou de tests antisatellites menacent les infrastructures civiles – télécommunications, météorologie, navigation – d’une collision instantanée. De l’autre, les astéroïdes géocroiseurs, beaucoup plus rares mais potentiellement cataclysmiques, rappellent à l’humanité qu’elle partage l’espace avec des masses rocheuses muettes, parfois longues de plusieurs centaines de mètres. Un objet de 140 mètres peut raser une région entière. Un kilomètre, et c’est la planète entière qui tremble.
Prévoir l’imprévisible : quand la science organise la riposte
Le premier levier est la connaissance. Depuis plusieurs décennies, les agences spatiales cartographient le ciel, croisent les orbites, enregistrent les passages. La mission américaine DART, en 2022, fut la première à tester en conditions réelles une déviation d’astéroïde : une sonde de 580 kg a percuté volontairement Dimorphos, une petite lune gravitant autour de l’astéroïde Didymos, à 11 millions de kilomètres de la Terre. Ce n’était pas de la science-fiction. C’était un essai à échelle réelle, concluant. Et pour la première fois, un corps céleste a vu sa trajectoire modifiée par l’homme.
Mais l’anticipation suppose de connaître le plus tôt possible la position des menaces. Pour cela, les scientifiques internationaux misent sur des observatoires optiques, des radars spatiaux, des sondes automatisées, mais aussi sur l’analyse de fragments ramenés d’astéroïdes, comme ceux de Bennu par la mission OSIRIS-REx. Ces minuscules grains de matière racontent une histoire vieille de 4,67 milliards d’années, mais offrent surtout une cartographie chimique des premiers ingrédients du système solaire – et donc des menaces potentielles à venir.
Au sol, l’ONU coordonne les travaux de plusieurs groupes chargés d’élaborer une réponse collective en cas d’impact prévisible. Objectif : ne pas se retrouver à décider dans l’urgence qui aura le droit de dévier un objet, et comment. Mais si cette réponse mondiale existe sur le papier, la réalité opérationnelle reste fragmentée.
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Radar français et algorithmes maison : l’offensive discrète de Look Up Space
C’est dans ce contexte que la France développe une réponse propre, sous l’impulsion du CNES et de la start-up Look Up Space. Objectif ? Créer une capacité de surveillance de l’espace à la fois souveraine, modulaire et opérationnelle. Contrairement aux systèmes optiques dépendants des conditions de lumière ou de météo, leur dispositif repose sur un radar au sol de nouvelle génération, capable de fonctionner jour et nuit, avec une précision angulaire inférieure à un degré, ciblée spécifiquement sur les objets en orbite basse (LEO), là où l’activité est la plus intense et chaotique.
Mais l’innovation ne s’arrête pas au matériel. Look Up Space conçoit une plateforme numérique complète, structurée autour de trois modules :
– Detect & Track : pour repérer et suivre les objets en temps réel.
– Analyze & Inform : pour croiser les trajectoires, anticiper les comportements, générer des alertes.
– Act & Protect : pour déclencher des mesures de protection, recommander des manœuvres, éviter les collisions.
Cette architecture logicielle repose sur des modèles comportementaux propriétaires alimentés par de la fusion de données multi-capteurs. Elle se distingue par sa capacité à détecter les manœuvres intentionnelles ou suspectes, et par son interopérabilité avec des systèmes civils (ESA, CNRS) comme militaires (CDE).
Une souveraineté algorithmique en orbite
L’un des enjeux fondamentaux du projet est l’indépendance. Les données sont traitées et stockées en France, sans passer par des plateformes étrangères. La chaîne complète – du radar à l’alerte – est maîtrisée de bout en bout, ce qui en fait une brique technologique stratégique pour les décennies à venir. Le système peut être déployé seul, en réseau, ou intégré à d’autres infrastructures selon les besoins d’un opérateur étatique ou institutionnel.
En période de tensions géopolitiques et de militarisation progressive de l’espace, cette approche séduit : elle permet à un pays comme la France de ne plus dépendre d’alertes américaines ou chinoises pour sécuriser ses propres satellites. Elle offre aussi une réponse civile crédible à un désastre potentiel – que ce soit une collision fortuite, une attaque furtive, ou un caillou géant venu du fond du système solaire.
En résumé :
- L’espace proche de la Terre n’est plus un vide tranquille, mais un enchevêtrement d’objets rapides, parfois dangereux, souvent imprévisibles.
- Face à la prolifération des menaces, la communauté scientifique mondiale met en place des dispositifs de surveillance, des missions de déviation, et des collaborations sous l’égide de l’ONU.
- Des sondes comme DART ont prouvé qu’il était possible de modifier la trajectoire d’un astéroïde, à condition de l’avoir détecté bien en amont.
- Les échantillons ramenés par OSIRIS-REx permettent d’étudier l’histoire chimique des astéroïdes, et d’améliorer notre capacité de prédiction.
- La France développe une solution complète avec Look Up Space, combinant radar au sol et plateforme logicielle propriétaire pour la surveillance spatiale.
- Cette solution s’appuie sur trois modules : détecter, analyser, agir – avec une architecture pensée pour l’orbite basse, civile comme militaire.
- La souveraineté est au cœur du dispositif : les données sont acquises, traitées et exploitées en France, sans dépendance extérieure.
- Le système se veut modulaire, interopérable, et capable d’intégrer une réponse autonome à des situations critiques, même sans alerte venue d’ailleurs.