Interdit de vol supersonique au-dessus des terres américaines, le Concorde n’a jamais pu desservir les États-Unis sans détour océanique : son bang, trop brutal, en faisait un intrus sonore dans le ciel civil. Cela n’a pas empêché la NASA de s’attaquer au phénomène.
Le 12 juillet dernier, l’agence spatiale américaine a sorti de son hangar le X-59, son démonstrateur expérimental, marquant une étape clé dans la préparation de ses premiers vols. Entre forme profilée et bang supersonique assagi, la NASA s’attaque à une vieille barrière du ciel : le mur du son… en silence.
C’est un avion qui ne transporte ni passagers ni fret, mais des réponses. Le X-59 QueSST, développé par Lockheed Martin pour la NASA, s’apprête à décoller pour valider une hypothèse vieille de plusieurs décennies : peut-on franchir le mur du son sans provoquer d’explosion sonore au sol ? Avec son nez effilé, ses ailes fines et son cockpit décalé, l’appareil semble tout droit sorti d’un dessin d’ingénieur des années 1960. Mais sous cette carlingue volontairement asymétrique se cache une ambition bien actuelle : redonner au supersonique sa légitimité civile, sans bruit ni controverse.
Une démonstration volante pour percer le secret du bang
Un avion pensé pour la perception acoustique
Le X-59 n’a pas été conçu pour battre des records de vitesse ou transporter des voyageurs, mais pour modeler une onde sonore. À la différence du Concorde, qui provoquait un bang supersonique audible à des centaines de kilomètres, l’objectif ici est d’obtenir un « bang doux », baptisé « thump » par la NASA. Il s’agirait d’un bruit équivalent à la fermeture d’une portière de voiture entendue depuis l’extérieur, soit environ 75 dB mesurés au sol.
Pour y parvenir, l’appareil mesure 29 mètres de long pour 9 mètres d’envergure, avec une silhouette atypique destinée à canaliser les ondes de choc et à éviter leur convergence brutale. Le cockpit est déporté, sans visibilité directe vers l’avant, et remplacé par un système optique externe (eXternal Vision System) affiché sur un écran 4K en cabine.
Une première campagne au-dessus des États-Unis
Le premier vol du X-59 est prévu pour fin 2025, suivi d’une phase d’essais intensifs durant l’année 2026. L’appareil survolera plusieurs villes américaines afin de recueillir les perceptions sonores des habitants au sol. Ces données viendront compléter les mesures physiques recueillies par les stations acoustiques au sol et permettront d’alimenter un processus réglementaire complexe : démontrer que le vol supersonique civil peut être autorisé au-dessus des terres habitées, à condition de rester en dessous d’un seuil sonore acceptable.
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Une plateforme technologique née d’un programme ambitieux
Le fruit d’un partenariat NASA – Lockheed Martin
Le X-59 est le fer de lance du programme QueSST (Quiet SuperSonic Technology), fruit d’un partenariat entre la NASA et Lockheed Martin. Le contrat initial de développement, signé en 2018, portait sur un montant de 247,5 millions de dollars (environ 229 millions d’euros), avec un calendrier visant une mise à disposition opérationnelle en 2025. Le prototype final a été assemblé sur le site de Lockheed Martin à Palmdale, en Californie, dans les mêmes installations qui ont vu naître les U-2, SR-71 et F-117.
Le moteur choisi est un turboréacteur General Electric F414-GE-100, identique à celui utilisé sur le chasseur F/A-18E Super Hornet. Monté au sommet du fuselage, il permet de minimiser la propagation des ondes de choc vers le bas, là où elles seraient perçues par les populations.
Un laboratoire volant pour une réglementation future
Le rôle du X-59 est moins de prouver une performance que de valider une méthode. En compilant des mesures physiques, des retours subjectifs de riverains et des données réglementaires, le programme QueSST vise à fournir à la FAA (Federal Aviation Administration) et à l’OACI (Organisation de l’Aviation Civile Internationale) les éléments nécessaires à une évolution du cadre législatif. Aujourd’hui, tout vol supersonique au-dessus des terres américaines est interdit sauf dérogation militaire. Demain, un jet d’affaires supersonique ou un avion de ligne à haute vitesse pourrait bien enjamber les continents sans gêner ceux restés au sol.

Un design taillé pour redéfinir la vitesse
La forme au service du silence
La ligne du X-59 n’a rien d’un caprice esthétique. Chaque angle, chaque courbe, chaque volume est optimisé pour contrôler les ondes de choc générées par le vol à Mach 1,4 (soit environ 1 480 km/h à 55 000 pieds d’altitude, soit près de 16 000 mètres). Contrairement aux avions supersoniques classiques, dont les ondes de choc se rejoignent en une explosion sonore au sol, le X-59 les étale spatialement, diluant leur effet jusqu’à n’en faire qu’un bruit sourd et bref.
Cette performance repose sur plusieurs choix radicaux : un nez très allongé de 12 mètres, un empennage en V inversé, des entrées d’air dorsales et un profil d’aile dit « laminaire », qui évite les turbulences parasites.
Pas de place pour la marge d’erreur
Voler à Mach 1,4 en silence est une équation délicate. L’absence de pare-brise impose une instrumentation fiable, une redondance logicielle et une formation spécifique pour les pilotes d’essai. Le poste de pilotage intègre l’eXternal Vision System, une technologie qui affiche en temps réel une vision synthétique du paysage devant l’avion, enrichie d’indications de navigation. Cette absence de visibilité directe permet aussi de conserver un nez fin et profilé, clé de voûte du dispositif anti-bang.
Le système de vol est assisté par ordinateur, et la stabilité est assurée par des commandes de vol électriques héritées des avions militaires. À bord, aucun passager, aucun confort superflu : le X-59 est un pur instrument de mesure.
Une bascule réglementaire espérée en 2030
Vers une nouvelle génération d’avions civils
La NASA espère qu’à l’horizon 2030, les résultats du programme QueSST permettront à l’industrie de lancer une nouvelle génération d’avions supersoniques civils. Ceux-ci ne seront ni des clones du Concorde, ni des fantasmes futuristes, mais des appareils conçus dès l’origine pour voler vite et discret, au-dessus des terres, sans dérogation.
Le X-59 n’est donc ni un prototype commercial, ni un démonstrateur de style : c’est une clé de voûte réglementaire. En prouvant que le bang peut être contenu, il pourrait débloquer un marché aujourd’hui inexploitable, où la vitesse n’est plus un luxe sonore.
En résumé :
- Le X-59 QueSST vient d’être transféré vers sa base d’essai à Palmdale, une étape décisive dans la préparation de ses vols supersoniques silencieux.
- Le démonstrateur, conçu par Lockheed Martin pour la NASA, vise à produire un bang réduit à un « thump » d’environ 75 dB, quasi imperceptible au sol.
- Il mesure 29 mètres de long, vole à Mach 1,4 (environ 1 480 km/h à haute altitude) et possède un nez de 12 mètres destiné à canaliser les ondes de choc.
- Le cockpit, sans pare-brise, est équipé d’un système de vision externe projeté sur écran 4K, indispensable au pilotage en vol.
- Le moteur GE F414-GE-100 est monté au-dessus du fuselage pour minimiser l’impact acoustique vers le sol.
- Les premiers vols sont attendus fin 2025, avec une phase de survol de villes américaines en 2026 pour collecter des données acoustiques et sociétales.
- L’objectif du programme QueSST est de convaincre les autorités de modifier les règles interdisant les vols supersoniques civils au-dessus des terres.
- Si les résultats sont probants, une nouvelle génération d’avions civils supersoniques pourrait émerger dès la prochaine décennie.
