
Ce livre, je l’avoue, je ne l’ai pas choisi, c’est plutôt lui qui est venu vers moi, tranquillement, alors qu’il se trouvait sur mes étagères depuis déjà de longs mois. Et puis un jour, j’ai tendu la main vers lui. Le résultat m’a non seulement profondément bouleversé, mais il est de ceux qui nous marquent pour le restant de notre vie.
- La ballade en mer salée d’un marin ténébreusement libre, Corto Maltese
- Intrigue en Polynésie : Au soleil redouté de Michel Bussi
- Une plongée dans la France du XIXe siècle, la tour noire de Louis BAYARD
Une catastrophe mondiale
L’histoire commence par le récit effroyablement factuel de la narratrice. On apprend dès les premières lignes, qu’elle est veuve depuis peu, et qu’elle a deux enfants, des filles presque adultes, et décide d’accepter l’invitation de sa cousine à passer quelques jours de vacances dans le chalet de cette dernière en compagnie de l’époux de celle-ci, un hypocondriaque pathologique, qui a la bien encombrante manie, de faire des stocks de tout, juste au cas où. A cette époque souligne l’héroïne, il est surtout question de gérer les conséquences d’une guerre atomique. Dès les premières lignes, elle rend hommage à ce cousin par alliance sans lequel, grâce à son obsession, elle ne pourrait nous adresser ce récit. Le chalet de ses vacances est perdu en pleine forêt et elle goûte avec bonheur, les joies champêtres. Puis alors qu’elle attend le retour du couple parti depuis de longues heures et qui ne revient pas, elle décide de partir à sa rencontre… et tombe sur un mur. Si elle voit les gens de l’autre côté de celui-ci, ceux-ci ne bougent plus, sont figés, un peu à la manière des corps de Pompéi. Mais que s’est-il passé dans la nuit ?
La solitude
Bien vite, la narratrice comprend qu’elle est la seule survivante d’une catastrophe qui la dépasse. Ils sont avec les animaux qui l’entourent, du « bon » côté du mur. Dans un premier temps, elle fait l’inventaire de tous les objets qui se trouvent dans le chalet et qui pourraient lui servir. Grâce à l’hypocondrie de son cousin, et ses stocks stratégiques, elle va pouvoir survivre un petit moment, mais devra se projeter dans le futur, puisqu’elle ne sait combien de temps cet état va durer. Entourée d’une vache, qu’elle va garder pour le lait, d’un Lynx, roi de la forêt, et d’une chatte blanche, elle va organiser sa vie au milieu de cette forêt dense, de ses clairières découvertes au fil du temps, du silence, de tout ce monde non-humain qui l’entoure, et l’accepte. Une idée va servir de fil rouge : Où commence le mur, et où s’arrête celui-ci ? Qu’elles sont ses frontières ? Le lecteur va accompagner l’héroïne dans toutes ses interrogations, dans toutes ses peurs, dans toutes ses joies, et dans sa solitude.
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Malgré tout, la vie continue et s’organise
Malgré cette catastrophe, elle va devoir continuer de vivre. Elle organise l’étable pour ses animaux, mais aussi ses expéditions pour trouver de la nourriture, car si les stocks de « guerre » lui permettent de survivre dans une société de marché durant un certain temps, il va lui falloir revenir aux fondamentaux, semer, cultiver, récolter, manger. Pour elle bien sûr, mais seulement, pour les animaux dont elle a désormais la charge. Bien sûr ils savent s’occuper d’eux, mais les deux espèces sont désormais les seules survivantes d’une extinction massive, et leur rapprochement est dès lors inéluctable. Mais bien sûr, la vie et la mort vont reprendre leur droit. C’est bouleversant, pétrifiant, absolument dévastateur de lire la plume de Marlen Haushoffer.

Une plume d’une juste délicatesse
C’est avec beaucoup de finesse que l’on vit, les émotions de l’héroïne. La violence de la mort, car il s’agit toujours d’une forme de violence, si ce n’est dans la forme qu’elle prend pour frapper, mais dans le vide qu’elle laisse derrière elle, si profonde, si définitive, Marlen Hauschoffer la rend presque délicate, inéluctable, mélancolique. L’écriture frappe en plein cœur, et les larmes du lecteur coulent, à la manière de l’encre d’une plume, avec délicatesse, silencieuses, sur ses joues. La dernière partie du livre ne pourra être évoquée ici, mais c’est une lecture qui marque, qui étreint et enserre, pour ne plus jamais nous quitter. Je la recommande vivement.
En résumé
- Catastrophe mondiale et isolement total : L’histoire débute par un récit poignant d’une veuve qui se retrouve seule après une catastrophe mondiale, où la majorité de l’humanité disparaît. La narratrice se retrouve dans un chalet isolé en pleine forêt, découvrant un « mur » mystérieux qui sépare les vivants des autres. Cette mise en situation dramatique pose les bases d’un roman post-apocalyptique où l’héroïne est confrontée à une solitude totale.
- Survie et résilience : L’isolement imposé par la catastrophe mène la protagoniste à une survie difficile mais pleine de résilience. Grâce aux stocks d’urgence de son cousin, elle parvient à subsister. Le roman explore la capacité humaine à s’adapter dans un environnement radicalement changé.
- Relations humaines et non-humaines : Le rapprochement entre l’héroïne et les animaux – un lynx, une vache, et une chatte – constitue un aspect central du roman. Le texte aborde la notion de cohabitation entre humains et animaux, et la façon dont ces relations évoluent dans un monde où l’humanité a presque disparu.
- L’écriture subtile et émotionnelle de Marlen Haushofer : Le style d’écriture de Marlen Haushofer est d’une grande subtilité émotionnelle, ce qui rend la lecture d’autant plus intense. L’auteure fait ressentir la violence de la mort avec une délicatesse presque poétique, évoquant la mélancolie et la tristesse de la perte. Le ton introspectif du livre invite à une réflexion profonde sur la vie, la mort et la résilience.
- Un roman inoubliable et bouleversant : Cette œuvre n’est pas seulement un récit post-apocalyptique ; c’est un voyage intérieur où les thèmes de la solitude, de la survie et de la nature sont explorés avec une grande sensibilité. La lecture marquante et bouleversante de ce livre reste gravée dans la mémoire du lecteur, offrant une expérience littéraire forte et émouvante.